La peur du pire dans les conflits : pourquoi l'accepter vous rend plus fort
Vous êtes face à un conflit important. Un désaccord avec un associé, une tension avec votre hiérarchie, un différend familial sur un héritage. Et au-delà des arguments échangés, quelque chose de plus viscéral vous tétanise : cette voix intérieure qui murmure « Et si je perds ? Et si je ne m'en sors pas ? »
Cette peur du pire n'est pas juste un inconfort passager. C'est un gouvernail invisible qui dicte vos stratégies, censure vos mots les plus sincères, vous pousse à l'évitement ou à l'agressivité préventive. Et voici le paradoxe que peu osent formuler : c'est précisément cette peur qui crée ce que vous redoutez.
Plus troublant encore : dans la majorité des conflits, vous ne craignez pas vraiment ce que vous croyez craindre. Vous pensez avoir peur de perdre de l'argent, un poste, un contrat. Mais au cœur de cette peur se cache souvent une menace bien plus profonde : perdre votre valeur, votre dignité, votre place, le sentiment même d'exister.
Cet article explore un territoire rarement cartographié : les multiples visages de la peur dans les conflits. Peurs rationnelles et peurs psychologiques. Peurs liées aux vrais enjeux pratiques et peurs issues de votre histoire de vie. Et surtout, nous révélons un retournement stratégique contre-intuitif qui transforme radicalement votre rapport au conflit : accepter pleinement le pire scénario pour reprendre le pouvoir.
Les deux terrains du conflit : visible et invisible
Dans chaque situation conflictuelle, deux niveaux s'affrontent simultanément, mais un seul est visible.
Le terrain visible, c'est l'objet apparent du désaccord : ce budget à répartir, cette décision stratégique à prendre, ce comportement professionnel qui dérange, cette clause contractuelle contestée. C'est ce sur quoi vous pensez négocier. C'est le "quoi" du conflit.
Le terrain invisible, c'est l'enjeu psychologique sous-jacent : vos vulnérabilités qui se tiennent en embuscade, vos zones de sensibilité particulière, vos peurs profondes qui se réactivent. C'est le "qui je suis face à ce quoi". Et c'est ce terrain-là qui gouverne réellement vos réactions.
Lorsque la peur du pire s'active, elle déclenche trois effets dévastateurs qui sabotent votre capacité de négociation :
Sur le plan émotionnel, un réflexe d'alerte s'enclenche : votre système nerveux "voit le danger". Vous ne débattez plus, vous défendez. Votre corps se tend, votre respiration se modifie, vos pensées s'accélèrent. Vous passez en mode survie : fuite, combat ou sidération.
Sur le plan cognitif, votre pensée devient plus réactive que réfléchie. Soit vous construisez une forteresse argumentative (attaque ou rigidité totale), soit vous vous retirez en silence. Les nuances disparaissent, remplacées par des certitudes défensives. Vous manquez de la souplesse nécessaire à toute négociation intelligente.
Sur le plan relationnel, le conflit cesse d'être un échange pour devenir une lutte pour un statut, une reconnaissance, un sentiment. L'autre n'est plus un interlocuteur mais une menace potentielle contre votre intégrité psychologique. Vous ne négociez plus vraiment l'objet du conflit : vous tentez désespérément de protéger votre valeur.
La peur du pire transforme un désaccord rationnel en combat pour votre identité. Et c'est précisément cette posture défensive qui vous rend vulnérable et inefficace.
Mais pour sortir de ce piège, il faut d'abord comprendre une distinction fondamentale : toutes les peurs ne sont pas de même nature.
Les peurs réelles rationnelles : quand l'enjeu est réellement pratique et la peur ajustée
Commençons par ce qui est souvent négligé dans les approches psychologisantes des conflits : certaines peurs sont parfaitement rationnelles. Elles sont ancrées dans des menaces réelles, avec des conséquences concrètes et mesurables. Il s'agit d'une peur fondée sur un danger concret, objectivement identifiable : perte d'emploi, menace physique, sanction, rupture de contrat, exposition au harcèlement, etc. Elle est rationnelle parce qu'elle répond à un enjeu réel, mesurable.
Peurs réelles rationnelles liées à l'objet du conflit
Vous êtes en conflit avec un fournisseur qui ne respecte pas le contrat. Peur réelle : un procès coûteux, des pertes financières chiffrables, un impact sur votre trésorerie. C'est une peur rationnelle, fondée sur des risques objectifs. L'enjeu du conflit (le non-respect contractuel) génère légitimement une peur proportionnée au danger concret.
Vous êtes en désaccord profond avec vos associés sur l'orientation stratégique de l'entreprise. Peur réelle : que la mauvaise décision entraîne une perte de parts de marché, des licenciements, voire une faillite. Peur rationnelle, basée sur des données économiques réelles. Votre peur porte directement sur l'objet du conflit et ses conséquences concrètes.
Vous êtes en tension avec votre hiérarchie sur une réorganisation qui supprime votre service. Peur réelle : perdre votre emploi, vos revenus, votre statut professionnel. Peur rationnelle, ancrée dans un changement organisationnel concret. L'objet du conflit (la réorganisation) menace réellement votre situation matérielle.
Dans ces situations, la peur est un signal utile. Elle alerte sur un déséquilibre de pouvoir, une injustice, une vulnérabilité factuelle. En médiation ou en accompagnement psychologique, on reconnaît cette peur, on en mesure l'impact concret, on cherche à sécuriser le cadre, à réduire l'exposition (par exemple : créer un espace de parole sécurisé, clarifier les engagements, évaluer les options concrètes).
⚠️ Ces peurs rationnelles appellent des stratégies rationnelles : analyse de risques, sécurisation juridique, construction d'alternatives (plan B), négociation des garanties. Elles demandent une réponse pratique, pas un travail psychologique.
Les peurs réelles irrationnelles : quand la peur est disproportionnée à l'enjeu objectif
Mais il existe une autre catégorie : les peurs réelles irrationnelles. Ici, la peur est toujours liée à l'objet concret du conflit, mais elle est disproportionnée ou mal ajustée au contexte : l'enjeu n'est pas à la hauteur de la réaction, ou le risque est estimé beaucoup plus élevé qu'il ne l'est réellement. Cette disproportion peut venir de la personnalité en lien avec l'histoire de vie.
Peurs réelles irrationnelles sur l'objet du conflit
Par exemple : vous êtes entrepreneur, votre entreprise a un conflit avec un concurrent sur une clause commerciale. Vous avez peur que "si je négocie avec ce concurrent, je vais être ANÉANTI FINANCIÈREMENT", alors que votre structure est stable, votre trésorerie solide, et que l'enjeu réel ne représente que 5% de votre chiffre d'affaires. La peur porte bien sur l'objet du conflit (la clause commerciale), mais elle est disproportionnée.
Autre exemple : vous êtes cadre et un collègue conteste publiquement votre analyse dans une réunion. Vous avez peur que "si je ne réagis pas immédiatement et fermement, je vais perdre toute crédibilité et être marginalisé dans l'entreprise", alors que vous êtes reconnu pour votre expertise et que ce type de débat est normal dans votre organisation. Votre peur porte sur l'objet du conflit (la contestation de votre analyse), mais elle surestime massivement les conséquences réelles.
Cette peur irrationnelle peut dépendre d'un biais cognitif, d'un passé difficile, d'une généralisation anxieuse. Selon la recherche en neurosciences et psychologie comportementale : la peur adaptative devient problématique quand elle "généralise" et s'applique à des stimuli non dangereux. Votre cerveau, ayant vécu une situation douloureuse dans le passé, anticipe le même niveau de danger dans une situation objectivement différente.
La peur adaptative devient problématique quand elle "généralise" et s'applique à des stimuli non dangereux.
Comment intervenir sur ces peurs irrationnelles
Pour ces peurs irrationnelles, l'intervention passe par un travail cognitif sur l'évaluation du risque, sur les croyances catastrophiques ("et si ?"), et la mise en place de petites expériences de désensibilisation (par exemple : négocier à moindre enjeu, tester la réalité de vos prédictions) afin de réajuster l'estimation de la peur. Il s'agit de confronter vos prédictions à la réalité : "J'ai cédé sur ce point mineur, ai-je été anéanti comme je le craignais ?" "Mon collègue m'a critiqué, ai-je perdu toute ma crédibilité ?"
Ce travail permet de recalibrer votre système d'alarme interne. Vous continuez à évaluer les risques, mais vous ne surestimez plus systématiquement les dangers. Vous retrouvez une capacité d'évaluation plus juste de l'objet du conflit.
Les peurs symboliques : quand la menace ne porte plus sur l'objet du conflit mais sur votre monde intérieur
Cette catégorie désigne les peurs qui ne sont pas directement liées à un danger extérieur mesurable, mais à des représentations internes. Elles ne portent plus sur l'objet concret du conflit (le budget, le contrat, la décision), mais sur ce que cet objet symbolise pour vous.
Ces peurs symboliques sont difficiles à verbaliser, mais elles pilotent les comportements. Elles sont symboliques parce qu'elles représentent une menace pour le monde intérieur, l'estime de soi, le lien, l'identité. Elles peuvent être très puissantes dans un conflit : l'argument n'est plus "je perds un contrat" mais "si je parle je serai rejeté, je ne compterai plus".
Peurs symboliques liées à l'objet du conflit
Prenons un exemple concret : vous êtes associé dans une entreprise et un conflit émerge sur la répartition des responsabilités. L'objet du conflit est factuel : qui gère quelle partie de l'activité. Mais votre peur symbolique pourrait être : "Si on me retire cette responsabilité, ça signifie que je ne vaux rien, que je suis incompétent." L'objet du conflit (la répartition des tâches) devient le symbole d'une menace identitaire beaucoup plus profonde.
Autre exemple : vous êtes en conflit familial sur la vente de la maison parentale. L'objet du conflit est concret : vendre ou garder, à quel prix, comment répartir. Mais votre peur symbolique pourrait être : "Si on vend cette maison, c'est comme si on effaçait la mémoire de nos parents, comme si je trahissais leur héritage." La maison n'est plus un bien immobilier, elle devient le symbole de votre loyauté familiale, de votre identité filiale.
Peurs symboliques dans les interactions avec l'autre partie
Les peurs symboliques ne concernent pas seulement l'objet du conflit, elles s'activent aussi dans la manière dont vous interagissez avec l'autre partie. C'est la peur de ce que l'échange lui-même va révéler ou provoquer.
Par exemple : dans une négociation salariale, votre peur symbolique n'est pas seulement "je ne vais pas obtenir l'augmentation" (objet du conflit), mais "si je négocie, mon manager va penser que je suis arrogant, que je ne suis pas reconnaissant, et il va me rejeter". La peur porte sur l'interaction elle-même : oser demander, oser s'affirmer, c'est risquer d'être mal vu, mal jugé.
Autre exemple : vous êtes en conflit avec un partenaire commercial. Votre peur symbolique dans l'interaction pourrait être : "Si j'exprime mon désaccord clairement, il va me percevoir comme agressif, et je vais détruire la relation." Vous ne craignez pas seulement l'issue du conflit (l'objet), mais ce que votre façon de vous exprimer va dire de vous aux yeux de l'autre.
Ou encore : dans un conflit d'équipe, votre peur symbolique dans l'échange pourrait être : "Si je me montre vulnérable en admettant mes doutes, les autres vont me voir comme faible et incompétent." Vous censurez votre parole authentique par peur du jugement que l'interaction pourrait susciter.
Même si la peur symbolique apparaît irrationnelle du point de vue objectif, elle est rationnelle pour la personne : elle fait sens dans son vécu, ses schémas, ses blessures.
Peur symbolique rationnelle ou irrationnelle ?
Même si la peur symbolique apparaît irrationnelle du point de vue objectif (aucun danger concret immédiat), elle est rationnelle pour la personne : elle fait sens dans son vécu, ses schémas, ses blessures. Autrement dit : "oui, objectivement je ne vais pas perdre ma vie si on critique mon idée", mais "dans mon psychisme, cette critique ravive une blessure d'humiliation". C'est pourquoi elle mérite toute l'attention : ignorée, elle déclenche des comportements disproportionnés (retrait, attaque, sabotage).
D'où viennent ces peurs symboliques ?
Ces peurs viennent de votre histoire de vie, des événements marquants, des schémas appris dans l'enfance, des loyautés familiales, ou de traumas. Elles se construisent à partir de multiples sources :
1. Les schémas profonds (exemples issus des modèles d'analyse des schémas précoces inadaptés)
Certains schémas se forment très tôt et influencent durablement votre rapport aux conflits. Par exemple : un schéma d'assujettissement vous pousse à privilégier systématiquement les besoins de l'autre au détriment des vôtres, par peur d'être rejeté si vous affirmez vos limites. Dans un conflit professionnel, vous acceptez des conditions inacceptables parce que dire non réactive cette peur profonde.
Autre exemple : un schéma d'exigences élevées vous fait craindre l'imperfection et l'échec. Dans une négociation, vous êtes paralysé par la peur de ne pas être "à la hauteur" d'un standard intérieur IMPOSSIBLE À ATTEINDRE. Ou encore : un schéma de méfiance vous fait anticiper systématiquement la trahison et la manipulation dans chaque interaction conflictuelle, même quand aucun élément objectif ne le justifie.
2. Les traumas vécus (exemple appliqué aux conflits)
Un trauma passé peut créer une sensibilité particulière dans les situations conflictuelles. Par exemple : vous avez vécu une situation professionnelle où un désaccord a dégénéré en harcèlement moral prolongé. Depuis, chaque nouveau conflit au travail réactive cette mémoire traumatique : votre corps se met en alerte maximale dès qu'une tension apparaît, même minime. Vous n'êtes plus face au conflit présent, vous êtes face à l'écho du trauma passé.
Votre peur symbolique devient : "si je rentre dans ce conflit, je vais revivre l'enfer que j'ai connu". Cette peur n'est pas "irrationnelle" au sens où elle découle d'une expérience réelle, mais elle est symbolique car elle projette sur la situation présente (objectivement différente) le danger du passé.
3. Les blessures émotionnelles (exemple parmi d'autres sources possibles)
⚠️ Attention : les peurs symboliques ne découlent pas uniquement des blessures émotionnelles. Les schémas et les traumas (entre autres) peuvent tout aussi bien être à l'origine de ces peurs. Cependant, les blessures constituent un exemple fréquent.
Par exemple : une blessure d'abandon peut vous faire craindre que le conflit entraîne une rupture définitive du lien. L'objet du conflit (un désaccord sur un projet) devient symboliquement une menace de solitude. Ou encore : une blessure de non-reconnaissance peut transformer un conflit sur la répartition des tâches en une quête désespérée de validation. Vous ne négociez plus l'organisation du travail, vous tentez de prouver votre valeur.
Comment intervenir sur ces peurs symboliques
Pour intervenir efficacement : il faut identifier la source sous-jacente (schéma, trauma, blessure ou autre), nommer la peur symbolique ("ce que je redoute c'est d'être exclu, pas seulement que mon idée soit rejetée"), et travailler sur une nouvelle interprétation ("mon appartenance ne dépend pas de cette parole", "je peux être en désaccord sans perdre ma valeur"). Ce travail passe par des outils spécifiques adaptés à chaque situation.
Les conflits comme révélateurs : vos blessures en action
Maintenant que nous avons distingué les différents types de peurs, explorons plus en détail comment certaines blessures émotionnelles (qui ne sont, rappelons-le, qu'une des sources possibles des peurs symboliques) se manifestent dans les conflits. Cette grille de lecture permet souvent d'identifier rapidement les mécanismes psychologiques à l'œuvre.
La blessure d'abandon : "Si je m'affirme, je serai seul"
Vous craignez par-dessus tout la rupture du lien. Dans les conflits, cette peur symbolique vous pousse à dire oui quand vous pensez non, à accepter l'inacceptable, à vous adapter excessivement. Vous pensez protéger la relation, mais vous créez exactement ce que vous redoutez : une distance, parce que l'autre sent votre fausseté ou votre ressentiment accumulé.
Exemple en conflit : votre associé impose une décision que vous jugez désastreuse. Vous ne dites rien par peur qu'il "se fâche et parte". Résultat : la décision échoue, la tension monte, et vous finissez par exploser six mois plus tard de manière disproportionnée, créant exactement la rupture que vous redoutiez.
La blessure de rejet : "Je n'ai pas ma place ici"
Vous doutez en permanence de votre légitimité à prendre votre place, à exprimer vos besoins. Dans un conflit, cette peur symbolique se traduit par deux postures : soit vous vous retirez préventivement ("de toute façon, mon avis ne compte pas"), soit vous surcompensez par une agressivité défensive ("je vais leur montrer que je compte"). Les deux stratégies confirment paradoxalement votre peur.
Exemple en conflit : dans une réunion stratégique, vous avez une proposition pertinente. Mais votre peur symbolique murmure "tu n'es pas à ta place pour suggérer ça". Vous vous taisez. Plus tard, quelqu'un d'autre propose la même chose et est félicité. Vous ruminez, confirmant votre croyance : "je ne compte pas".
La blessure d'humiliation : "Ils vont me ridiculiser"
Vous êtes hypersensible au regard des autres, à l'image que vous renvoyez. Dans un conflit, cette peur symbolique vous pousse soit à attaquer préventivement pour protéger votre image ("je vais les déstabiliser avant qu'ils me jugent"), soit à vous taire complètement pour éviter l'exposition. Vous protégez votre façade au lieu d'être présent au dialogue.
Exemple en conflit : un client conteste la qualité de votre prestation. Plutôt que d'écouter sa critique pour comprendre le problème réel, vous vous défendez agressivement, attaquant sa compétence à juger votre travail. Résultat : le client se braque, le conflit s'envenime, et vous perdez effectivement votre crédibilité.
La blessure d'injustice : "Ce n'est pas juste, je ne peux pas l'accepter"
Vous êtes hypersensible aux déséquilibres, aux traitements inégaux. Dans un conflit, cette peur symbolique (la peur que votre dignité soit bafouée) vous rend inflexible, moralisateur. Vous transformez chaque négociation en procès, en débat sur les principes. Vous perdez toute flexibilité stratégique.
Exemple en conflit : votre entreprise propose une répartition des primes qui vous désavantage légèrement. Objectivement, c'est négociable. Mais votre blessure d'injustice s'active : "c'est INJUSTE, je ne peux pas accepter". Vous refusez toute discussion, exigeant une reconnaissance morale. Résultat : vous bloquez la négociation, isolez vos collègues, et finissez par obtenir moins que ce que vous auriez pu négocier.
La blessure de trahison : "Ils me cachent quelque chose, ils manœuvrent"
Vous anticipez la manipulation, le mensonge, la trahison. Dans un conflit, cette peur symbolique vous pousse à contrôler compulsivement, à vérifier, à suspecter. Vous créez exactement le climat de méfiance que vous redoutez.
Exemple en conflit : vous êtes en négociation avec un partenaire. Il propose un compromis honnête. Mais votre peur symbolique active la suspicion : "qu'est-ce qu'il me cache ?". Vous exigez des garanties excessives, vérifiez chaque détail, le traitez comme un adversaire. Résultat : il se braque, la confiance se brise, et il commence effectivement à vous cacher des informations, confirmant votre peur initiale.
La blessure de non-reconnaissance : "Personne ne voit ce que je fais"
Vous avez un besoin intense que vos apports soient vus, validés, célébrés. Dans un conflit, cette peur symbolique vous pousse à réclamer la reconnaissance avec une intensité qui, paradoxalement, pousse l'autre à la refuser. Vous passez plus de temps à prouver votre valeur qu'à résoudre le problème concret.
Exemple en conflit : vous êtes en désaccord avec votre équipe sur la stratégie marketing. Avant même d'écouter leurs arguments, vous listez tout ce que vous avez accompli, attendant qu'on reconnaisse vos mérites. Résultat : votre équipe vous perçoit comme égocentré, refuse de valider votre besoin, et vous vous sentez encore plus invisible.
La blessure de disqualification identitaire : "On attaque qui je suis"
Vous percevez chaque désaccord comme une attaque contre votre identité profonde. Impossible de négocier sans avoir l'impression de vous trahir. Vous vous arc-boutez sur vos positions comme si céder revenait à nier qui vous êtes.
Exemple en conflit : votre associé propose de modifier la vision de l'entreprise. Objectivement, c'est une adaptation stratégique nécessaire. Mais votre blessure transforme cela en menace existentielle : "si j'accepte ça, je renie mes valeurs, je ne suis plus moi". Résultat : vous bloquez toute évolution, l'entreprise stagne, et vous finissez isolé.
Ces blessures ne sont pas des faiblesses. Ce sont des zones de sensibilité forgées par votre histoire. Le problème n'est pas d'avoir ces blessures. Le problème, c'est de les laisser piloter vos conflits sans en avoir conscience.
Le retournement stratégique : accepter le pire pour reprendre le pouvoir
Maintenant que vous comprenez les différents visages de la peur (réelles rationnelles, réelles irrationnelles, symboliques), voici la transformation fondamentale qui change tout : accepter pleinement le pire scénario.
Cela paraît contre-intuitif. Vous pensez que c'est renoncer, capituler, abandonner. C'est exactement l'inverse. Accepter le pire, ce n'est pas le souhaiter ni le provoquer. C'est cesser d'en avoir peur au point de vous paralyser. C'est vous dire : "OK, et si ça arrivait ? Et si je perdais ce contrat, ce poste, cette relation ? Qu'est-ce qui se passerait vraiment ?"
Pourquoi cette acceptation change tout
Quand vous acceptez vraiment le pire (pas intellectuellement, mais dans votre corps, votre psychisme), plusieurs transformations se produisent :
1. Libération cognitive
Vous cessez de dépenser une énergie colossale à éviter, à contrôler, à anticiper le pire. Cette énergie redevient disponible pour penser clairement, analyser la situation, identifier vos véritables intérêts. Vous pouvez enfin réfléchir au lieu de réagir. Votre intelligence stratégique se déploie parce qu'elle n'est plus verrouillée par la peur.
2. Authenticité relationnelle
Vous pouvez dire ce que vous pensez vraiment, exprimer vos besoins réels, sans les filtrer à travers vos peurs symboliques. Vous n'êtes plus en train de protéger votre image, votre statut, votre appartenance. Vous êtes là, présent, honnête. Et paradoxalement, c'est cette authenticité qui crée la connexion, le respect, la confiance.
Vous écoutez vraiment. Et ça change tout : vous découvrez souvent que l'autre ne voulait pas du tout ce que vous redoutiez. Que sa demande n'était pas une attaque. Que son besoin n'était pas incompatible avec le vôtre.
3. Flexibilité stratégique
Vous pouvez explorer des solutions créatives, des compromis intelligents, sans les vivre comme une défaite ou une capitulation. Parce que votre valeur ne dépend pas de gagner sur tous les points. Vous pouvez dire : "OK, sur ce point je peux céder, ça ne me détruit pas." "Sur cet aspect, je peux être flexible." Vous négociez vraiment. Vous n'êtes plus dans le tout ou rien, dans le "si je cède, je meurs".
4. Stabilité émotionnelle
Vous n'êtes plus ballotté entre l'anxiété de la menace et le soulagement temporaire de l'évitement. Vous êtes posé, ancré. Vous pouvez traverser les turbulences de la négociation sans vous effondrer ou exploser. Votre régulation émotionnelle est restaurée parce que vous n'êtes plus en mode survie. Vous êtes en mode pilotage conscient.
Paradoxe magnifique : en acceptant de perdre, vous gagnez en pouvoir. En acceptant le pire, vous devenez plus fort. Parce que vous n'êtes plus prisonnier de votre peur.
Le principe fondamental des rapports de force
Cela nous amène à un principe que nous observons dans tous les conflits que nous accompagnons chez RESOVCO :
⚠️ Celui qui a le moins peur de perdre détient souvent le plus de pouvoir.
Pas parce qu'il est plus fort objectivement. Pas parce qu'il a plus de ressources matérielles. Mais parce qu'il n'est pas paralysé par sa peur. Il peut penser clairement, négocier intelligemment, prendre des risques calculés. Il peut dire non. Il peut partir si nécessaire.
L'autre, celui qui a peur de tout perdre, celui qui négocie depuis sa blessure, il est prisonnier. Il accepte l'inacceptable. Il se trahit. Il fait des concessions qui ne sont pas rationnelles (non pas parce que c'est stratégiquement nécessaire, mais parce qu'il a peur).
L'acceptation du pire scénario est la condition pour passer d'une posture de victime à celle de négociateur lucide et habile.
Testez-vous : Quelle peur gouverne vos conflits ?
Pour chaque situation, choisissez la réponse qui vous ressemble le plus (notez la lettre A, B, C, etc.). À la fin, comptez vos réponses pour identifier votre blessure dominante.
1. Face à un désaccord important, votre première inquiétude est :
- A. "Ils vont me laisser tomber, je vais me retrouver seul"
- B. "Je ne suis pas à ma place dans cette discussion"
- C. "On ne respecte pas mes droits, c'est injuste"
- D. "Ils me cachent quelque chose, ils manœuvrent"
- E. "Je vais passer pour un incompétent devant tout le monde"
- F. "Personne ne voit ce que j'apporte, mon travail ne compte pas"
- G. "On attaque qui je suis fondamentalement"
2. Quand le conflit s'intensifie, vous avez tendance à :
- A. Faire des concessions excessives pour maintenir le lien coûte que coûte
- B. Vous retirer en pensant "je n'ai rien à faire ici"
- C. Rappeler les principes, les règles, ce qui est moralement juste
- D. Vérifier compulsivement ce qui se dit, chercher les mensonges
- E. Éviter toute situation où vous pourriez être exposé publiquement
- F. Insister lourdement pour qu'on reconnaisse enfin vos apports
- G. Vous arc-bouter sur vos positions, aucune concession possible
3. Après un conflit non résolu, votre pensée obsessionnelle est :
- A. "Ils vont finir par m'exclure, me laisser de côté"
- B. "J'ai confirmé que je n'étais pas légitime ici"
- C. "On m'a encore une fois traité injustement"
- D. "Ils m'ont manipulé, je me suis fait avoir"
- E. "Je me suis ridiculisé, ils ont vu mes failles"
- F. "Encore une fois, tout ce que je fais ne compte pas"
- G. "Ils ont démontré que je ne vaux rien"
4. Dans une négociation tendue, vous avez du mal à :
- A. Maintenir votre position si l'autre menace de partir
- B. Affirmer vos besoins sans craindre d'être illégitime
- C. Accepter un compromis qui ne respecte pas vos "droits"
- D. Faire confiance aux propositions de l'autre
- E. Prendre la parole devant plusieurs personnes
- F. Avancer sans qu'on ait d'abord reconnu vos efforts
- G. Négocier sur vos valeurs ou votre vision
5. Quand l'autre dit quelque chose de neutre, vous entendez :
Phrase neutre : "Je pense qu'on devrait impliquer d'autres personnes dans ce projet."
- A. "Tu n'es pas suffisant, on va te remplacer"
- B. "Tu n'es pas à ta place sur ce projet"
- C. "On ne te fait pas confiance, on te surveille"
- D. "On prépare quelque chose dans ton dos"
- E. "Tu es incompétent, tu ne peux pas gérer seul"
- F. "Ce que tu as fait ne compte pas, on ne te voit pas"
- G. "Tu n'es pas capable, tu es défaillant"
6. Face à une peur rationnelle (perdre votre emploi, par exemple), votre peur symbolique sous-jacente est :
- A. "Je vais être abandonné, seul, sans soutien"
- B. "Ça prouve que je ne mérite pas ma place"
- C. "C'est injuste, je ne mérite pas ça"
- D. "On m'a trahi, on m'a menti sur ma sécurité"
- E. "Tout le monde va savoir que j'ai échoué"
- F. "Personne ne reconnaît tout ce que j'ai donné"
- G. "Je ne suis plus rien si je n'ai plus ce rôle"
Vos résultats :
Majorité de A – Blessure d'abandon : Vous craignez par-dessus tout d'être mis à l'écart, de vous retrouver seul. Dans les conflits, vous vous adaptez excessivement pour maintenir le lien, quitte à vous trahir. Votre stratégie défensive crée paradoxalement la distance que vous redoutez.
Majorité de B – Blessure de rejet : Vous doutez de votre légitimité à prendre votre place. Face au conflit, vous vous retirez préventivement ou vous vous défendez avec une agressivité qui cache votre peur de ne pas être "assez". Cette posture confirme ce que vous redoutez.
Majorité de C – Blessure d'injustice : Vous êtes hypersensible aux déséquilibres et aux traitements inégaux. Vous devenez moralisateur et inflexible, transformant chaque négociation en procès. Cette rigidité vous prive de toute flexibilité stratégique.
Majorité de D – Blessure de trahison : Vous anticipez constamment la manipulation. Vous contrôlez tout, vérifiez compulsivement. Cette méfiance crée exactement le climat de tension et les non-dits que vous redoutez.
Majorité de E – Blessure d'humiliation : Vous craignez d'être ridiculisé publiquement. Vous attaquez préventivement ou vous vous taisez. Dans les deux cas, vous protégez votre image au lieu d'être présent au dialogue.
Majorité de F – Blessure de non-reconnaissance : Vous avez besoin que vos apports soient vus et validés. Vous réclamez la reconnaissance avec une intensité qui, paradoxalement, pousse l'autre à la refuser. Vous passez plus de temps à prouver votre valeur qu'à résoudre le problème.
Majorité de G – Blessure de disqualification identitaire : Vous percevez chaque désaccord comme une attaque contre qui vous êtes. Impossible de négocier sans avoir l'impression de vous trahir. Vous vous arc-boutez sur vos positions comme si céder revenait à nier votre identité.
Prêt à transformer votre relation aux conflits ?
Identifier vos blessures actives n'est que la première étape. Distinguer peur rationnelle et peur symbolique est un apprentissage. Développer la capacité à accepter le pire pour reprendre le pouvoir demande un accompagnement structuré.
Chez RESOVCO, nous accompagnons les particuliers et les professionnels dans cette transformation profonde. Nos accompagnements en médiation et en conseil en gestion des conflits vous permettent de :
- Analyser en profondeur les peurs qui gouvernent vos conflits (rationnelles et psychologiques)
- Identifier vos blessures actives et comprendre comment elles sabotent vos négociations
- Développer la posture du retournement stratégique
- Construire votre liberté d'action face aux situations conflictuelles
- Passer de la posture défensive à celle de négociateur lucide et habile
Si vous sentez que ce travail demande un soutien professionnel (pour explorer vos réactions, clarifier les blessures qui se rejouent, développer une nouvelle posture) n'hésitez pas à nous contacter.
C'est souvent la différence entre répéter les mêmes schémas et les dépasser définitivement.
Parce que vos conflits méritent mieux que des stratégies défensives : ils méritent votre pleine intelligence émotionnelle et stratégique.
Karine BIAVA - RESOVCO (2025) Consultante, coach et médiatrice https://www.resovco.fr/a-propos https://www.linkedin.com/in/karine-biava-239205333/